26.

Après avoir garrotté Salvancy et enfermé à clef tous les gens de la maison dans la chambre de Mme Salvancy, ils sortirent.

Bien que la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie ne fût guère éloignée de la rue Saint-Martin et de la rue de la Plâtrière, ils s’y étaient rendus à cheval. D’abord parce que le marquis d’O ne se serait jamais déplacé à pied sans escorte, et ensuite parce que le cheval était le moyen le plus rapide de fuir si une difficulté inattendue devait surgir. Pour la circonstance, Olivier avait donc loué une jument à l’écurie du Fer à Cheval. En arrivant rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, ils avaient laissé leurs montures rue des Billettes, sur un petit enclos qui bordait l’église Sainte-Croix où quelques gagne-deniers avaient pour habitude de surveiller les bêtes que leur confiaient les gentilshommes de passage. Nicolas Poulain, lui, avait attendu ses amis en bas, devant la maison de Salvancy.

Quand, de la fenêtre et par un signal convenu, Olivier l’eut prévenu qu’ils en avaient terminé, le lieutenant du prévôt était allé chercher les chevaux que deux gagne-deniers avaient ramenés avec lui. Ils avaient ainsi pu partir rapidement.

Nicolas Poulain et François d’O étaient en tête.

Le marquis faisait au lieutenant du prévôt un compte rendu rapide de ce qui s’était passé, assorti de commentaires ironiques sur la terreur de Salvancy. Certes, le receveur des tailles aurait fui quand on viendrait l’arrêter, mais cela n’avait plus guère d’importance. Son rapinage était terminé et, dans la sacoche accrochée à la selle du marquis, il y avait près d’un million de livres qu’il remettrait au roi le soir même.

Enfin, maintenant qu’on savait que Claude Marteau avait ordonné la mort de M. Hauteville, M. d’O suggérait à Nicolas de régler cette dernière affaire lui-même, ou avec le commissaire Chambon. Leur entreprise était donc un succès complet, néanmoins Nicolas Poulain éprouvait un inexplicable sentiment de malaise. Il avait remarqué la pâleur d’Olivier, quand il était sorti de la maison de Salvancy. Maintenant, son ami était derrière eux, tout seul et il n’avait pas ouvert la bouche ; Caudebec, Dimitri et Charles fermant la marche plus loin.

Certes, le marquis d’O lui avait dit qu’Olivier connaissait désormais l’assassin de son père – Claude Marteau –, mais ce nom n’avait apparemment pas été une révélation pour lui. Le lieutenant du prévôt s’interrogeait donc aussi sur la façon dont Olivier l’avait identifié.

Pour toutes ces raisons, quand M. d’O eut terminé de lui raconter ce qui s’était passé chez le receveur, Nicolas Poulain retint sa monture un instant, de manière à ce qu’Olivier les rattrape et se retrouve entre eux.

— Tu m’as l’air bien sombre, Olivier, pourtant tu devrais être en joie. Tout s’est bien terminé, fit-il d’un ton neutre.

— Sans doute, répondit le jeune homme d’un air absent.

— Depuis quand te doutais-tu que c’était Marteau ?

— Si je n’avais pas été aveuglé, je l’aurais compris tout de suite. Je savais que l’assassin était une connaissance de mon père, or souviens-toi, il y a quelques semaines, tu m’as dit que ces bourgeois parisiens qui s’étaient constitués en sainte union étaient peut-être ceux qui rapinaient les taxes de l’élection de Paris. M. d’O les a plus franchement accusés devant moi, et j’avoue ne pas l’avoir cru à ce moment-là. Mais il avait cité des noms, en particulier M. de La Chapelle et son frère.

» Mon père vérifiait les registres des tailles à la demande de M. Séguier, mais c’est M. Marteau qui avait la charge du contrôle général des tailles à la surintendance, je ne crois pas te l’avoir dit. Et quand M. le marquis m’a parlé de M. de La Chapelle, j’ai fait le lien : M. de La Chapelle s’appelle Michel Marteau, c’est le frère de Claude Marteau. Voici ce qui a dû se passer : M. de La Chapelle a tenté de convaincre mon père de rejoindre sa ligue. Mais mon père avait sans doute déjà deviné que M. Salvancy était le responsable de la fraude et il le lui a peut-être dit, ou il l’a dit à son frère. Il leur a sans doute dit aussi qu’il écrivait un mémoire sur ce qu’il avait découvert. Ce qui prouve qu’il ne suspectait pas M. Marteau. Mais celui-ci a pris peur et il est venu chez nous chercher le mémoire, avec les sbires de Salvancy.

» Tout cela était tellement évident que je m’en veux de ne pas l’avoir compris plus tôt. D’ailleurs, qui était mieux placé que Claude Marteau, responsable du contrôle des tailles à la surintendance, pour trouver des complices parmi les élus et les officiers de l’élection ?

— Vous avez un esprit habile, monsieur Hauteville, remarqua le marquis d’O après un temps de réflexion durant lequel ils avaient fait avancer leurs montures à la file afin de contourner un chariot de pierres.

Olivier se mordilla les lèvres sans répondre. Il n’avait nullement un esprit habile, se reprochait-il. C’était Cassandre qui avait tout fait. C’est elle qui lui avait désigné Salvancy, c’est elle qui avait organisé cette entreprise qui leur avait permis de reprendre les quittances, et c’est elle encore qui lui avait ouvert les yeux sur les gens de la Ligue.

Et c’est elle maintenant qu’il allait devoir affronter.

— Qu’allez-vous faire désormais ? demanda O.

— Je ne sais pas, monsieur. Je vais peut-être m’inscrire comme avocat au Palais, si je suis accepté. Ou alors à la chambre des Comptes. Je suis trop jeune pour reprendre la charge de mon père.

— Je vous ai proposé d’entrer dans ma maison, mon offre tient toujours, si vous n’avez pas honte d’être au service de l’archilarron !

Ces mots amenèrent un maigre sourire sur le visage d’Olivier.

— Merci, monsieur le marquis. Pourrais-je vous donner une réponse quand tout sera vraiment terminé ?

O lui fit signe que oui. Ils arrivaient à l’écurie du Fer à Cheval où ils laissèrent les montures pour gagner à pied la maison d’Olivier.

Quand ils avaient discuté le détail de leur plan, chez le marquis, celui-ci souhaitait qu’ils se retrouvent chez lui une fois les quittances reprises. Mais Cassandre lui avait demandé une faveur :

— Olivier a perdu son père dans sa maison, monsieur le marquis, j’y ai moi-même vécu quelques temps et je crois vous avoir aidés à résoudre cette affaire. Il me serait agréable de vous retrouver là-bas pour dîner ensemble. Je pourrais y être à midi, et vous me feriez le récit de ce qui s’est passé. Après quoi, j’examinerais les quittances et je vérifierais qu’elles peuvent être payées. Après dîner, vous pourriez m’escorter jusqu’à la banque Sardini. Ainsi mon oncle vous paierait sur-le-champ les quittances contre une lettre de crédit pour Sa Majesté.

— Mais vous pourriez aussi bien nous retrouver chez moi ! avait objecté François d’O. Nous dînerions et je vous raccompagnerais de la même manière.

— Certes, mais toute cette aventure a commencé dans la maison d’Olivier. J’ai tant à cœur que tout se termine là-bas aussi, avait-elle insisté d’un ton mi-enjôleur mi-suppliant.

François d’O était trop galant homme pour ne pas céder. Sans compter qu’il ne pouvait froisser cette femme qui allait être indispensable pour échanger les quittances de Sardini contre trois cent mille écus d’or. À ce moment-là, tout à la satisfaction de leur entreprise, le marquis d’O n’avait pas remarqué l’expression désespérée d’Olivier Hauteville.

Depuis la fenêtre de sa logeuse, Maurevert surveillait toujours la maison de Hauteville. Le vendredi 12 avril, il avait enfin revu le jeune homme (Olivier rentrait de Saint-Germain), mais il faisait trop sombre pour tirer. Apparemment, la jeune femme et son compagnon n’habitaient plus chez lui, pas plus que son garde du corps. Il avait guetté toute la journée du samedi, le mousquet solidement calé sur la fourquine et la mèche lente pouvant être allumée à partir d’une chandelle de suif, mais sa victime n’était pas sortie.

Le dimanche, il l’avait vu partir, sans doute à l’église, accompagné de ses domestiques. Malheureusement, alors qu’il allait tirer, un soldat était arrivé et avait remis une lettre à Olivier Hauteville, et lorsque les domestiques étaient revenus de l’office religieux, le jeune homme n’était plus avec eux. En effet, après la messe, Olivier s’était rendu à pied à la maison de Scipion Sardini pour annoncer à Cassandre et à Caudebec qu’un soldat venait de lui porter une lettre du marquis d’O qui le convoquait pour le lendemain.

Fort en colère, Maurevert avait quitté son poste où il s’engourdissait pour aller manger dans une auberge. Il avait ainsi raté le retour de celui qu’il devait tuer !

Le lendemain lundi, il était encore à son poste quand il avait vu arriver la femme et son compagnon, tous deux à cheval. Allait-elle de nouveau loger chez Hauteville ? s’inquiéta-t-il. Il en était au point où il ne pouvait plus maîtriser son exaspération. Les deux visiteurs avaient été rejoints par Nicolas Poulain et ils étaient partis tous ensemble sans que le tueur des rois ait pu tirer, car Poulain et Hauteville, à pied, avaient été en partie cachés par les chevaux des deux autres.

Plus tard, Maurevert avait été dérangé par la servante qui lui montait à souper alors même qu’Olivier rentrait chez lui après avoir raccompagné Cassandre chez son oncle. Une nouvelle fois, il n’avait pu tirer.

Aussi, le mardi matin, il décida de revenir à son plan initial. Il prendrait désormais tous les risques. Dès que le jeune homme quitterait sa maison, il se présenterait chez lui sous un prétexte qu’il avait préparé, entrerait, tuerait tout le monde à l’intérieur, et quand Hauteville reviendrait, puisqu’il n’avait plus de garde du corps, il l’occirait facilement d’un coup d’épée.

Il en était là dans ses réflexions quand il vit le jeune homme partir à pied, tout seul, pour se rendre au Fer à Cheval. C’était un nouveau coup du sort ! ragea-t-il. S’il avait préparé son mousquet, il l’aurait abattu sans coup férir ! Il se consola en se disant que puisqu’il était parti seul, il reviendrait seul. Le pauvre garçon n’avait donc gagné que quelques heures de vie, jugea-t-il.

Il vérifia une nouvelle fois le rouet de son pistolet, une opération difficile avec une seule main et qui l’obligeait à coincer l’arme avec son genou. Le mécanisme fonctionnait parfaitement, Maurevert glissa l’arme dans un étui attaché à son pourpoint. Il était peu probable qu’il l’utilise, jugea-t-il. Son épée suffirait pour percer tous les habitants de la maison, mais si c’était nécessaire, il pourrait toujours lâcher sa lame, attachée à son poignet par une dragonne, sortir le pistolet de sa main valide, tirer, le replacer et reprendre son épée.

Il s’était longuement entraîné à cette séquence durant sa convalescence.

Il attacha le fourreau de son épée à sa ceinture, prit une dague, ouvrit sa porte et descendit. Il ne pouvait plus attendre.

Dans l’escalier, il rencontra sa logeuse qui montait le voir.

— Monsieur Le Vert (on se souvient que c’était le nom qu’utilisait Maurevert et qui était inscrit sur son passeport), vous ne m’avez pas encore payé la semaine d’avance et nous sommes mardi. Vous savez bien que vous devez me payer tous les dimanches.

— Je vous donnerai votre argent à mon retour, lui dit-il.

— Non ! protesta-t-elle aigrement. Vous êtes déjà en retard !

Elle lui obstruait le passage et il comprit qu’il ne pourrait se débarrasser d’elle. Il fit demi-tour et remonta dans sa chambre, lui demandant d’attendre dehors. Il avait un sac de cuir bien dissimulé et en tira dix écus. Il remit le sac à sa place et rejoignit la femme à qui il donna l’argent.

Ce contretemps lui avait fait perdre quelques minutes.

Dans la rue Saint-Martin, un gentilhomme qui surveillait la maison vit Olivier se diriger vers le Fer à Cheval. Il se précipita aussitôt à l’auberge et grimpa quatre à quatre jusqu’à une chambre dont les occupants sortirent aussitôt pour se rendre chez Hauteville, en évitant de se faire voir des écuries.

Ils étaient cinq en tout, lourdement armés, et avaient la clef de la porte d’entrée et de la herse.

Maurevert arriva peu après, alors qu’ils étaient déjà entrés. Ignorant leur présence, il frappa à la porte. Ce n’est qu’au bout d’un temps assez long qu’une voix d’homme se fit entendre par l’une des meurtrières de la tourelle.

— Que voulez-vous ?

— M. Hauteville vient d’être agressé par une bande armée ! Il est blessé et m’a demandé de venir chercher de l’aide ! lança Maurevert croyant s’adresser à un domestique.

Personne ne répondit, sans doute l’homme – un concierge – allait demander s’il pouvait le faire entrer. Au bout d’une longue minute, la porte s’ouvrit. À peine était-elle entrebâillée que Maurevert la poussa d’un coup d’épaule et entra en sortant sa dague pour qu’on ne le vît pas de la boutique du tailleur. Il la plongea dans le ventre de l’homme qui était devant lui. Celui-ci s’écroula en gargouillant.

Il était seul. Maurevert regarda son visage : il ne l’avait jamais vu. En revanche le fait que sa victime soit vêtue en gentilhomme et porte une épée l’inquiéta. Était-ce un nouveau garde du corps ? Peu importe, se rassura-t-il, puisqu’il est mort. Il rengaina sa dague et sortit sa rapière, puis ouvrit prudemment la porte de la cuisine. Elle était vide.

— Joachim, cria une voix d’homme de l’étage, fais monter cet homme !

Comment se faisait-il qu’il y ait encore un autre homme dans la maison ? se demanda le tueur qui n’avait jamais vu que le commis. Un second garde du corps ? Il s’efforça de chasser le malaise qui l’envahissait et grimpa l’escalier quatre à quatre, l’épée dans sa main valide.

Il fut stupéfait en découvrant le visage de celui qui se trouvait devant une porte ouverte, au niveau du premier étage, et qui avait été attiré par le fracas qu’il avait fait en montant. C’était un homme habillé de toile noire sans broderie ou passementerie. Il portait une épaisse barbe bouclée, comme sa chevelure, son front était haut avec des plis profondément marqués sous les yeux.

— Mornay ! murmura Maurevert.

— Maurevert ! s’exclama, abasourdi, M. de Mornay en reculant d’un pas pour protéger sa fille adoptive qui se tenait derrière lui. Cache-toi, Cassandre ! ordonna-t-il.

Les deux hommes, autant interloqués l’un que l’autre, se dévisagèrent une seconde. Puis la surprise fit place à la haine. Cassandre avait reconnu le manchot avec qui elle s’était battue. Elle ne chercha pas à comprendre comment son père le connaissait, elle savait seulement que cet inconnu allait les tuer.

— Caudebec, à l’aide ! cria-t-elle.

Caudebec était au deuxième étage. Il se trouvait déjà dans la cage d’escalier avec un pistolet quand il avait entendu du bruit en bas. Il se précipita et découvrit Maurevert à l’instant où celui-ci allait frapper M. de Mornay d’un coup d’estoc.

L’assassin le vit surgir au-dessus de lui alors qu’il montait d’une marche. Il aperçut le pistolet et fit aussitôt demi-tour.

— Tire, Caudebec ! hurla Mornay.

Dans l’escalier à vis, la balle s’écrasa à l’endroit où Maurevert se trouvait une seconde plus tôt. Déjà en bas, l’assassin enjamba le cadavre, ouvrit la porte et s’enfuit en courant dans la rue. Les gens s’écartèrent devant ce furieux armé.

Mornay le poursuivit et s’arrêta à une des meurtrières de la cage d’escalier pour le voir disparaître dans la foule de la rue Saint-Martin. La poursuite était inutile.

Son cœur battait à tout rompre.

— Je te retrouverai, Maurevert ! murmura-t-il.

Philippe de Mornay était arrivé chez Scipion Sardini quelques jours plus tôt, accompagné d’un de ses capitaines et d’un écuyer. Cela faisait un mois qu’il était sans nouvelle de sa fille et dès qu’il avait appris l’offensive du duc de Guise sur Châlons, il avait décidé de venir la chercher. La guerre allait reprendre et bientôt les armées sur les routes empêcheraient tout déplacement autre que militaire.

Mais chez Sardini, Cassandre lui avait raconté qu’elle était près du but. Ce n’était plus que l’affaire de quelques jours pour qu’elle soit en possession des précieuses quittances. Elle lui avait expliqué son plan en détail et son père avait accepté de rester et d’attendre, d’autant qu’elle avait besoin de lui pour le dernier acte. Sans son père, elle aurait dû engager des hommes de main.

C’est ainsi que le matin où Olivier était parti chez le marquis d’O pour aller chez Salvancy, ils s’étaient introduits chez lui avec la clef qu’elle avait gardée. Mais Maurevert avait failli tout faire échouer.

— Qui était cet homme, père ? s’enquit Cassandre qui, avec Caudebec, avait rejoint son père et découvert le cadavre de l’écuyer de M. de Mornay.

— Un fantôme, Cassandre, un fantôme…

— C’est lui qui a tenté de tous nous tuer ici, il y a un mois, avec une troupe de pendards.

— Comment cela est-il possible ? murmura Mornay.

— Qui est-ce, père ?

— Je dois le retrouver, Cassandre… fit-il sans répondre. Je vais le retrouver, je le jure… Je croyais qu’il était mort… Je t’en parlerai… plus tard… Mais sache, et toi aussi, Caudebec, que cet homme est le plus grand criminel que l’histoire ait connu. C’est lui qui a provoqué la Saint-Barthélemy…

» Mon Dieu, pauvre Joachim ! Venir mourir ici…, fit-il en se penchant vers le corps de son écuyer. Aidez-moi, nous allons le monter dans une chambre et l’installer sur un lit.

Saisissant le corps par les pieds et les mains, Caudebec et lui grimpèrent au deuxième étage. La cuisinière, la servante et Le Bègue se trouvaient dans la chambre du fond sous la surveillance d’un jeune homme à la barbe fine, lui aussi vêtu de toile noire, qui les tenait en joue. Il se nommait Antoine, c’était un des capitaines de M. de Mornay.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il sans cesser de regarder ses prisonniers terrorisés.

— Je ne sais pas exactement, Antoine, répondit Mornay. Un homme s’est fait ouvrir en nous faisant croire que M. Hauteville avait été blessé. C’était faux, il venait sans doute pour occire tout le monde dans cette maison.

Il s’adressa aux domestiques pour les rassurer :

— C’est celui qui est déjà venu ici avec une bande de truands. Il s’est enfui, il ne reviendra pas mais il a tué Joachim, mon écuyer.

— Vous le connaissiez, monsieur ? s’enquit le jeune capitaine.

— Oui, Antoine, nous en reparlerons plus tard.

— Je vous en prie, laissez Perrine ! supplia Thérèse alors que sa nièce sanglotait, regrettant amèrement d’être venue dans cette maison où on tuait si souvent et où on violentait régulièrement les pauvres filles.

— Je ne vous veux aucun mal, madame, la rassura Mornay. Je me nomme Philippe de Mornay, vous avez peut-être entendu parler de moi. Je suis le surintendant de la maison de Mgr Henri de Navarre. Vous connaissez déjà ma fille Cassandre, elle a vécu avec vous et vous aime beaucoup. Votre maître va revenir avec des documents que je désire. Il me les remettra et nous partirons. Par sécurité, nous allons vous attacher et vous bâillonner. Restez calmes et il ne vous arrivera rien.

» Nous allons coucher le corps de mon écuyer dans la chambre d’à côté, ajouta-t-il. Je laisserai aussi de l’argent pour ses obsèques. Il était protestant, mais je doute que vous puissiez le faire inhumer suivant les rites de notre Église. Pourtant, si vous le pouvez, faites-le.

Toujours avec Caudebec, ils transportèrent le corps. Ensuite Philippe de Mornay et François Caudebec récitèrent un psaume avant de retourner dans l’autre chambre pour attacher les prisonniers. Auparavant, ils s’étaient fait remettre toutes les clefs de la maison. Après quoi, ils fermèrent les deux chambres et s’installèrent en haut de l’escalier.

— Il faut maintenant terminer ce pour quoi nous sommes venus, mais tout commence bien mal, dit Mornay à sa fille.

Arrivé chez lui, Olivier ouvrit la porte, puis déverrouilla la grille avec sa clef. Ses cinq compagnons entrèrent après lui.

— Nicolas, accompagne M. le marquis dans la chambre de l’étage où nous avons soupé. Thérèse a dû dresser la table, fit Olivier en fermant la porte, puis la herse.

Les autres montèrent tandis que le jeune homme se rendait dans la cuisine. Le feu était allumé dans la cheminée. La grande table était couverte de nourriture mais on avait retiré de l’âtre la broche sur laquelle étaient enfilées des bécasses. Les marmites de cuivre habituellement pendues aux crémaillères étaient aussi posées à côté de la cheminée. Il n’y avait personne. Aucun repas n’était préparé.

Olivier sentit son cœur se serrer. Il avait bien deviné.

Il sortit et rattrapa ses compagnons. Alors qu’ils entraient dans la grande chambre où la table à tréteaux, couverte d’une épaisse nappe damassée, était dressée pour le dîner, Olivier préféra passer par sa chambre. En poussant une pierre qui pivotait sur un axe dans le mur de la tourelle, il bloqua la herse avec le verrou. Puis il rejoignit les autres par la porte de communication entre les deux chambres.

— Où sont tes domestiques ? demanda Poulain, étonné de ne voir personne.

Cubsac, qui portait les sacoches contenant les quittances et les lourds registres, les posa sur le lit puis, ayant repéré les flacons de vin et les verres sur la crédence, il s’approcha des boissons en claquant la langue de plaisir.

Le marquis d’O, lui, examinait les lieux, sans méfiance mais malgré tout un peu surpris par le calme étonnant de cette maison.

Ils avaient laissé la porte de l’escalier ouverte et Cubsac fut le premier à voir entrer trois hommes, chacun tenant deux menaçants pistolets à rouet.

La porte de la chambre s’ouvrit ensuite et Cassandre entra à son tour, elle aussi armée d’un pistolet.

O et sa troupe se retournèrent et firent face aux intrus.

— Cassandre ? s’étonna Poulain.

— Monsieur de Mornay ! s’exclama O qui venait de comprendre qu’il était tombé dans un piège.

Olivier ne dit rien et regarda la jeune femme en mettant dans son expression tout le mépris qu’il pouvait.

Cubsac mit la main sur la poignée de son épée.

— Monsieur de Cubsac, prévint Caudebec, ne tentez rien, je vous en prie. J’aimerais rester votre ami mais je n’hésiterais pas à vous tuer. Nos pistolets sont en parfait état et nous ferons mouche à chaque coup. Nous avons chacun décidé de nos deux victimes. Si l’un de nous tire, nous tirons tous.

— Quel est ce traquenard ? s’enquit O avec insolence.

— Messieurs, vous allez tous vous aligner contre le lit en gardant vos mains visibles, ordonna Mornay sans répondre.

Ils obtempérèrent.

— Maintenant, asseyez-vous par terre.

Olivier obéit le premier, puis ce fut Poulain et ensuite Charles.

— Monsieur d’O, faites ce que je vous dis. Sinon je serais désolé de tirer, menaça Mornay.

O s’assit et fit signe à Cubsac et à Dimitri de faire de même.

Le plus dur était fait, se dit Mornay, satisfait. Une fois assis, il leur serait difficile de se lever rapidement.

— Vous allez faire lentement glisser vos dagues et vos épées de leurs fourreaux pour les pousser devant vous avec vos pieds.

Cette fois, ils se soumirent immédiatement. François d’O fut le premier à sortir son épée et à la repousser, après quoi il fit de même avec sa dague.

— Qui êtes-vous vraiment, madame ? demanda-t-il ensuite à Cassandre.

— Je suis la fille de M. de Mornay.

O lança un regard interrogatif à Olivier et Poulain.

— Vous le saviez ? s’enquit-il sévèrement.

— Non, monsieur, répondit Poulain, interloqué. Certes, je savais qu’elle nous avait menti quand elle s’est introduite ici sous le nom de Mlle Baulieu, mais ensuite je n’ai jamais douté qu’elle fût Mlle Sardini. C’est tout de même elle qui nous a permis d’identifier Salvancy, et elle habitait bien chez M. Sardini. Olivier l’a rencontrée, là-bas.

— Je suis venue à Paris pour prendre cet argent pour Mgr Henri de Navarre, expliqua-t-elle tristement. Seulement, je ne pouvais le faire seule, il me fallait des alliés…

— Vous nous avez trahis ! la coupa Poulain. Nous avions confiance en vous.

— Je ne vous ai pas trahi, Nicolas, je suis simplement dans un autre parti que le vôtre et je sers un autre maître, répliqua-t-elle un ton plus haut.

— Rassurez-vous, monsieur, intervint Mornay dans un sourire ironique, un jour ce maître sera le vôtre.

— Et Scipion Sardini dans tout cela, c’est donc votre complice ? s’enquit O en mettant tout le mépris qu’il pouvait dans sa question.

En même temps, il surveillait Dimitri du coin de l’œil. Dans chacune de ses bottes, le Sarmate avait un poignard qu’il pouvait saisir et lancer très vite.

— Nous l’avons aussi trompé, l’assura Mornay. Mais consolez-vous, vous n’avez pas tout perdu. Nous aurons l’argent, certes, mais il n’y aura plus de larronage sur les tailles désormais.

» Antoine, éloigne leurs armes, ordonna-t-il à son capitaine.

Antoine fit deux pas en avant et, avec son pied, déplaça épées et dagues vers lui sans pour autant perdre de vue les prisonniers. Ensuite, il repoussa toute la ferraille derrière lui jusqu’à la porte. De quelques derniers coups de botte, il fit tomber les épées et les dagues dans l’escalier où elles dévalèrent à grand fracas.

— Qu’avez-vous fait de mes gens ? demanda alors Olivier.

— Ne vous inquiétez pas pour eux. Ils sont garrottés à l’étage. Je suppose que cette sacoche contient les quittances ? demanda Mornay. Monsieur d’O, vous qui êtes le plus près, attrapez-la et poussez-la devant vous comme vous avez fait pour votre épée.

Ils étaient tous assis sur le sol, devant le lit, et la sacoche était dans le dos du marquis. Mais le lit se trouvait sur une estrade, le matelas était à peu près à la hauteur de leur tête.

— Il faut que je me lève, remarqua O.

— Non, vous allez très bien y arriver en restant où vous êtes… Sinon, je devrais vous occire.

O ne bougea pas et un lourd silence s’abattit dans la pièce. Visiblement, le marquis avait choisi de ne pas obéir. La tension devint palpable. Cassandre comprit que son père allait abattre les deux hommes qu’il avait choisis. Ils avaient convenu qu’en cas de bataille Mornay tuerait O – qu’il connaissait – et Dimitri, qui était facilement reconnaissable. Caudebec devait occire Nicolas et Olivier, et Antoine s’occuperait de Cubsac et du dernier homme. Elle avait refusé de participer au carnage.

Les canons étaient pointés sur leur cible et Poulain murmura une brève prière.

— Non, mon père ! s’exclama Cassandre avec un geste de la main. Je vais chercher ces quittances moi-même !

Elle fit le tour vers l’autre ruelle, sauta sur le matelas et prit la sacoche. Puis elle revint près de M. de Mornay. La double gibecière étant très lourde, elle l’ouvrit et vit les deux registres qu’elle sortit.

— Nous n’avons pas besoin de ça ! fit-elle en les jetant par terre.

— Avant de partir, dit alors Mornay d’une voix douce, j’ai une grâce à vous demander, messieurs. J’avais amené avec moi un jeune écuyer. Pendant qu’on vous attendait, un homme s’est introduit ici. Ma fille m’a dit que c’était celui qui avait déjà tenté de vous tuer, messieurs Hauteville et Poulain. Il est manchot…

— Comment a-t-il fait ? s’enquit Poulain, stupéfait.

— Peu importe ! Il nous a trompés. Il a tué mon écuyer et nous a échappé. Mon compagnon est sur un lit, à l’étage. Si vous y parvenez, j’aimerais qu’il ait une sépulture décente. Il était de la religion, comme nous.

» En sortant, nous fermerons cette porte à clef, poursuivit-il. Inutile donc de tenter de nous suivre.

— Monsieur de Mornay, dit alors Olivier, j’ai moi aussi une grâce à vous demander.

— Laquelle ?

— Je veux parler seul avec votre fille.

— C’est impossible !

— Vous devez accepter ! cria Olivier, s’il vous reste un peu d’honneur !

Cassandre vit que, sous l’insulte, son père allait tirer sur lui. Elle se jeta en avant pour l’empêcher.

— Père ! Je veux l’écouter. Je suis armée et je ne risque rien. Qu’il m’accompagne dans la chambre d’à côté.

Mornay serrait son arme avec une telle vigueur que ses phalanges en étaient blanches, mais il avait à nouveau tourné les canons vers O et Dimitri qui s’agitaient.

— Nous perdons du temps, ma fille !

— Je le lui dois ! insista-t-elle simplement.

Et sans attendre la réponse, elle fit signe à Olivier de se lever. Au moment où les armes de Mornay s’étaient tournées légèrement vers Olivier, le marquis d’O avait donné un coup de coude à Dimitri à côté de lui. Il y avait peut-être une opportunité. Mais Dimitri vit que Mornay s’était déjà retourné vers eux. Il était à plus de trois toises de lui. Le temps qu’il sorte ses dagues, ils seraient tous morts.

Entre-temps, Olivier s’était dirigé vers la chambre, Cassandre le suivait.

— Je te donne cinq minutes ma fille, pas une de plus !

— J’ai toujours su que vous n’étiez pas celle que vous vouliez me faire croire, Cassandre, lui dit Olivier d’un ton désabusé quand elle entra dans l’autre pièce.

Elle le regarda avec surprise. Elle avait refermé la porte derrière elle et le menaçait à peine du pistolet.

Il la vouvoyait à nouveau. Tout était donc fini entre eux. Mais après tout, c’était justice avec ce qu’elle venait de faire. Les larmes lui vinrent aux yeux. Il ignora sa détresse et poursuivit, sans acrimonie, avec indifférence.

— Je savais que vous me mentiez depuis plusieurs semaines. Il y avait la médaille de ma mère que vous n’aviez jamais portée, comme si elle vous brûlait la peau. (Il la montra, posée sur la table de la chambre où elle l’avait laissée.) Il y avait la messe, à laquelle vous avez toujours trouvé une raison pour ne pas vous rendre, pas plus qu’à la confession, même après m’avoir dit que vous étiez la nièce de Sardini. Il y avait aussi la clef de la maison que vous aviez gardée. Mais surtout, il y avait le livre que vous aviez caché dans vos draps.

— Vous avez regardé dans mes draps ? lui reprocha-t-elle, rouge de honte.

— Oui, je l’avoue. Vous y laissiez le nouveau testament traduit par M. de Bèze[64]. J’ai compris que vous étiez vraiment protestante. Vous n’avez jamais été la nièce de Sardini, vous n’avez jamais été Mlle Baulieu, alors qui étiez-vous ?

Il se tut une seconde.

— Pourtant, vous m’avez indiqué que M. Salvancy était le voleur que je cherchais. C’est alors que j’ai compris votre insistance : vous ne vouliez pas qu’on l’arrête, mais qu’avec Nicolas, nous récupérions les quittances à votre place.

» Vous saviez vous battre à l’épée, vous saviez tuer. J’en ai facilement déduit que vous étiez une espionne huguenote, exactement comme ces femmes de l’escadron volant de Mme de Médicis, même si vous ne m’avez pas proposé vos charmes pour me convaincre.

» Croyez que je le regrette, sourit-il sans joie.

— Je ne les ai jamais proposés à personne, répliqua-t-elle sèchement.

— Ainsi vous êtes la fille de cet hérétique de Mornay ! Je croyais que M. d’O était un démon, alors que j’ignorais avoir près de moi Lilith.

— Je vous interdis de dire du mal de mon père ! s’insurgea-t-elle. C’est l’un des rares hommes de ce royaume à prôner la tolérance et à souhaiter la liberté du culte pour chacun.

— Vous m’avez toujours trompé, lui reprocha-t-il en secouant la tête.

Brusquement, la tension fut trop forte et elle éclata en sanglots. Elle bredouilla en baissant le canon de son arme.

— Oui ! Oui, Olivier, je t’ai toujours trompé ! Je le reconnais… Je t’ai trompé pour ma foi… pour ma religion… et pour mon roi. Mais si cela peut te consoler, sache que je souffre déjà comme si j’étais en enfer.

— Puis-je te croire, après tant de mensonges ?

Elle posa l’arme sur le lit, s’approcha de lui et lui prit les mains :

— Je suis venue ici pour prendre cet argent pour Henri de Navarre, Olivier. Je ne pensais pas te trouver sur ma route, mais quels que soient mes sentiments pour toi, ils ne pouvaient m’écarter du chemin que je m’étais tracé. Arte et marte ! Par le talent et par le combat ! C’est la devise de ma famille. Mon roi a besoin de cet argent, et tu dois l’accepter, car ce roi, ce sera un jour le tien !

Il eut un mouvement répulsif.

— Je ne serai jamais protestant !

— Et moi je ne serai jamais catholique ! lui cria-t-elle en lui lâchant les mains. Mais je t’engage à lire ce que mon père a écrit avant de parler sans jugement ! Sais-tu que le roi de Navarre a toujours défendu que les consciences doivent rester libres ?

Ils restèrent un instant silencieux, s’affrontant du regard.

— Vous ne pourrez pas sortir d’ici, dit-il finalement. J’ai bloqué la grille d’entrée avec un verrou que je suis le seul à connaître.

Elle le regarda, sans croire ce qu’elle venait d’entendre.

— Si nous ne pouvons partir, il y aura massacre, Olivier. C’est ce que tu veux ? Mon père sera sans pitié. Pense aussi à la femme de Nicolas, à ses enfants.

Il resta silencieux avant de soupirer.

— Tu as gagné.

Il s’approcha du mur de la tour à six pans, poussa la pierre et débloqua le verrou, puis il fit relever la grille avec le contrepoids.

— Pars ! Va rejoindre les tiens.

Elle resta immobile.

— Sais-tu que j’ai songé à rester avec toi ? J’en ai même parlé à mon père, hier soir.

— Rester à Paris ? Avec moi ? demanda-t-il plein d’espoir.

— Oui. Il m’en a dissuadée. La guerre va reprendre, une huguenote n’a pas sa place dans Babylone. J’ai hésité, mais je sais qu’il a raison.

— Tu pourrais te convertir, proposa-t-il.

— Jamais ! Mais toi, tu pourrais venir avec nous, suggéra-t-elle à son tour. Mon père accepterait de te prendre à son service comme secrétaire. Il me l’a dit.

— Comment pourrais-je accepter ? Je te déshonorerais. Tu es noble et je suis roturier. Je n’ai même pas de dot à t’offrir.

— Je dois t’apprendre la vérité. Je ne suis que la fille adoptive de M. de Mornay. J’ignore qui étaient mes parents. On les a tués durant la Saint-Barthélemy, peut-être étaient-ils des roturiers, eux aussi… Toi, tu pourras venger ton père, moi je vivrai toujours en ignorant qui ils étaient…

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis il jugea que c’était inutile. Tout était terminé entre eux, jamais plus ils ne se reverraient.

Cassandre s’efforçait de ne pas pleurer. Elle aussi aurait voulu parler, mais que dire ? Il n’avait plus aucune confiance en elle. C’est alors qu’elle aperçut la médaille. Elle alla vers la table, saisit le bijou et passa la chaîne autour de son cou.

Il la regardait, interdit.

— Tu sais ce que ça me coûte, je suppose ? C’est une médaille de la Vierge qui va contre le premier commandement : Je suis le Seigneur, ton Dieu. Tu n’auras pas d’autres dieux à côté de Moi. Ne te fais jamais d’image. Pourtant, je la porterai désormais par amour pour toi. Elle ne me quittera pas… Maintenant, je dois les rejoindre. Mon père est gouverneur de Montauban. Le courrier arrive parfois à passer depuis Paris. Je t’écrirai… J’attendrai tes lettres… La guerre finira un jour et peut-être nous reverrons-nous.

Elle lui tourna le dos, prit le pistolet et revint dans l’autre pièce.

Il la suivit, ne sachant plus que penser.

Déjà, elle avait rejoint son père. Elle ramassa la gibecière et sortit la première sans lui accorder un regard. Caudebec et Antoine la suivirent mais ils restèrent à attendre sur une marche. M. de Mornay salua les prisonniers, sortit à son tour et poussa la porte. La clef était déjà sur la serrure. Il la tourna.

Tout le monde se précipita en bas.

Dans la pièce, les prisonniers s’étaient tous levés. Dimitri avait sorti un pistolet à rouet caché dans son manteau. Poulain demanda :

— Olivier, où est l’arquebuse ?

— Je ne veux pas qu’on tire sur elle, répliqua Olivier en secouant la tête.

Dimitri le bouscula et entra dans sa chambre, il se précipita à la fenêtre, l’ouvrit et tira avec le pistolet sitôt qu’il vit les fuyards. Mais ils étaient déjà trop loin et ils couraient vite.

Cubsac et O étaient passés par l’autre porte et dévalaient déjà les escaliers. Ils saisirent leurs épées par terre et sortirent, l’arme au poing. Dimitri les rejoignit.

— Là-bas, ils s’enfuyaient par là-bas !

C’était vers la Seine. Ils s’élancèrent, bousculant les passants, effrayés par ces furieux armés.

Mornay guidait ses compagnons. Il avait tourné sans hésiter dans la rue Aubry-le-Boucher, puis dans la rue Quincampoix qu’ils remontaient en courant et en bousculant eux aussi sans ménagement ceux qui les gênaient. Ils reprirent la rue de Venise vers la rue Saint-Martin. Ils avaient finalement suivi une boucle qui les avait ramenés à leur point de départ.

À la rue Aubry-le-Boucher, O et Dimitri hésitèrent. Ils furent rattrapés par Charles qui s’était aussi armé. O interrogea un mendiant assis par terre. L’homme fit celui qui ne comprenait pas. Le marquis lui jeta un écu d’or qu’il avait dans son pourpoint :

— Quatre hommes qui détalaient comme s’ils avaient le diable à leurs trousses ?

— Par là ! fit le gueux édenté en empochant la pièce.

Ils repartirent. De nouveau, ils croisèrent un carrefour très encombré. Cette fois, un savetier dont la boutique faisait le coin de la rue Quincampoix leur montra la direction des fuyards quand Cubsac l’interrogea. O, de son côté, questionnait un rémouleur qui tirait un âne.

Ils prirent la rue Quincampoix. Au premier carrefour, ce furent encore des questions pour apprendre que ceux qu’ils poursuivaient étaient revenus rue Saint-Martin par la rue de Venise. O comprit. Il aurait dû s’en douter. Ils étaient venus à cheval et ils allaient reprendre leur monture. Dans la rue Saint-Martin, Dimitri monta sur une borne d’angle pour tenter de les voir. Il vit des cavaliers sortir de l’écurie du Fer à Cheval et mettre leur cheval au galop sans s’inquiéter des gens qu’ils heurtaient sur leur passage. La rue Saint-Martin était suffisamment large pour qu’ils filent rapidement.

— On ne les rattrapera pas, monsieur, fit-il à O.

Le marquis soupira.

— Rentrons chez M. Hauteville.

Nicolas Poulain les attendait. Il n’avait pas jugé utile de participer à la poursuite. Olivier, lui, était allé délivrer ses gens au deuxième étage. O le fit chercher, plein de rage.

— Vous saviez que cette garce était la fille de Mornay ? lui cria-t-il quand il se présenta.

— Non, monsieur, elle m’avait menti une première fois mais j’avais foi en elle. Je suis allé plusieurs fois chez M. Sardini. Elle vivait là. Rien ne me laissait croire qu’elle avait encore menti.

» Et ce n’est pas une garce, monsieur, elle a agi par fidélité pour son roi, tout comme vous, ajouta-t-il, les poings serrés.

— Je réglerai ça ! menaça O.

Il resta sans mot dire, à méditer et à tenter de se calmer. Jamais la colère ne l’avait commandé. Ses hommes l’avaient rejoint, ils attendaient sa décision. Il songea un instant à aller chez Sardini, mais il savait que le banquier, bien armé, protégeait toujours ses clients, quels qu’ils soient. Pour le vaincre, il faudrait une armée et il n’avait que ses hommes d’armes.

Il avait été trompé par plus adroit que lui !

— J’aurai ma revanche, promit-il finalement l’air mauvais. Mais maintenant, je veux le secret sur cette histoire. Vous allez le jurer. Jamais le roi ne doit apprendre que je me suis fait voler trois cent mille écus lui appartenant.

— Vous avez ma parole, monsieur le marquis, dit Poulain.

— La mienne aussi, monsieur, fit Olivier, soulagé. Je vous jure de n’en parler jamais.

— Je le jure sur les Évangiles, monsieur, promit Cubsac.

— Moi aussi, monsieur, dit le valet de chambre.

Dimitri opina. Lui, il était inutile qu’il jure. O lui faisait confiance.

— Monsieur Hauteville. Vous avez toujours le mémoire de votre père ?

— Oui, il était dans mon manteau, ainsi que la confession de M. Salvancy. Et ils nous ont laissé les registres.

— Je veux que Marteau soit saisi dès ce soir. Débrouillez-vous avec M. Poulain. Ensuite passez me voir avant compiles. Je verrai le roi plus tard et je veux lui annoncer que j’ai mis fin à ces rapines.

— Pouvez-vous nous laisser M. de Cubsac encore une journée ? demanda Poulain.

Les rapines du Duc de Guise
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